3 questions à Développement des smart grids en France : La CRE accompagne et évalue les gestionnaires de réseaux, par Nicolas Deloge (Directeur des réseaux – CRE)
Nicolas Deloge
Nicolas DELOGE est directeur de la régulation des réseaux d’électricité et de gaz naturel à la Commission de Régulation de L’Energie (CRE). Diplômé de l’Ecole Nationale Supérieure des Mines de Nancy (2005), il a entamé sa carrière chez Capgemini Consulting puis a occupé divers postes au sein des fournisseurs alternatifs Poweo et Direct Energie où il a contribué à l’ouverture des marchés de l’électricité et du gaz. Il a rejoint la CRE en 2014. A l’occasion de la sortie du rapport sur la performance des gestionnaires de réseaux dans le développement d’un réseau électrique intelligent, il revient pour nous sur les actions menées par le régulateur pour aider au développement des Smart Grids en France.
1. Des réseaux intelligents : pourquoi est-ce si important ?
Nous ne le percevons pas toujours mais les réseaux d’électricité et de gaz sont au cœur du modèle énergétique français. Ils sont aujourd’hui à l’aube de transformations majeures qui visent à assurer à la fois la souveraineté, la compétitivité et la transition énergétique du pays. D’une part, les sources de production évoluent avec l’essor des énergies renouvelables décentralisées souvent non pilotables. D’autre part, les besoins de consommation changent avec l’intégration des mobilités propres ou encore le développement des zones de décarbonation industrielles. Les réseaux devront ainsi inévitablement se développer dans les années à venir pour intégrer la nouvelle production et les nouveaux usages, répondre à la hausse de la consommation, gérer des flux d’électricité de plus en plus bidirectionnels, le tout en maintenant une qualité de service élevée.
Cette mutation des réseaux sans précédent a déjà débuté et va s’accélérer dans les prochaines années. Les nouvelles technologies, de l’information ou de la communication, sont indispensables pour répondre à ce besoin de transformation et pour moderniser les réseaux. Les « smart grids », qui utilisent ces technologies, permettront de relever le défi de la transition énergétique, notamment en accélérant les raccordements, en limitant les investissements dans les infrastructures de réseau via le recours aux flexibilités, et en impliquant les consommateurs dans cette transformation.
2. Que fait la CRE pour accompagner le développement de ces réseaux en France ?
La CRE est une autorité administrative indépendante qui a été créée lors de la libéralisation des marchés de l’électricité et du gaz dans les années 2000. Son rôle est de veiller au bon fonctionnement de ces marchés au bénéfice du consommateur final et en cohérence avec les objectifs de la politique énergétique de notre pays. Cela implique de surveiller les marchés de gros et de détail et d’en définir les règles de fonctionnement, et de réguler les réseaux, infrastructures supportant les flux d’énergie de la production à la consommation, qui se trouvent naturellement en situation de monopole.
Cette dernière fonction est assurée par la Direction des Réseaux de la CRE, nous travaillons en étroite collaboration avec les différents gestionnaires de réseaux et d’infrastructures d’électricité et de gaz, pour définir un cadre économique, financier et règlementaire propice au bon fonctionnement de ces infrastructures. Nous fixons les tarifs d’utilisation de ces réseaux et veillons à la qualité du service proposé aux utilisateurs. Nous sommes aussi très attentifs à la modernisation des réseaux français qui passe entre autres par le développement des smart grids pour lesquels nous avons mis en place différents outils.
Le premier levier à notre disposition est le financement de la transformation des réseaux. En effet, les tarifs d’utilisation des réseaux permettent de financer la recherche et le développement qu’ils mènent et qui inclut des travaux sur les smart grids. Nous réalisons d’ailleurs tous les deux ans un rapport sur les démonstrateurs de réseaux intelligents qui met en exergue les expérimentations développées sur ce sujet. Cela représente au total un budget estimé à plus de 600 M€ sur les 10 dernières années afin de tester et de démontrer la pertinence et la viabilité de solutions innovantes.
Nous accompagnons aussi l’évolution des réseaux à travers une régulation dite dynamique avec la mise en place du dispositif de bac à sable réglementaire qui permet depuis 2019 à des porteurs de projets de bénéficier de dérogations temporaires aux conditions d’accès et à l’utilisation des réseaux pour tester en environnement réel des technologies ou des services innovants. Nombre de ces dérogations permettent le développement de réseaux plus intelligents comme la possibilité de raccorder de manière plus optimisée, l’ouverture des marchés de la flexibilité à de nouveaux usages ou services, ou encore expérimenter une tarification plus dynamique du TURPE.
Le rapport d’évaluation de la performance des gestionnaires de réseaux dans le développement d’un réseau électrique intelligent, que nous publions aujourd’hui, complète cette liste d’outils. Sa rédaction est en effet la première édition d’un exercice biannuel inscrit dans le code de l’énergie depuis 2021. Il a permis de réaliser un diagnostic de l’intelligence des réseaux, de mesurer la progression des gestionnaires de réseaux et d’identifier les freins et les actions à mettre en œuvre pour les lever.
Enfin, on peut citer le suivi d’indicateurs dans le cadre de la régulation incitative des gestionnaires de réseaux ou encore la publication de rapports et de feuilles de route pour accompagner des sujets comme le développement de la mobilité électrique et du stockage. Le site internet www.smartgrids-cre.fr, carrefour de l’information sur les réseaux intelligents complète ces services.
3. Quels sont les principaux enseignements du rapport d’évaluation de la performance des gestionnaires de réseaux sur le développement d’un réseau électrique intelligent qui vient de paraître ?
Dans ce rapport, nous avons choisi d’évaluer le développement des smarts grids en France selon trois axes qui nous semblent déterminants au regard du système électrique français et des enjeux auxquels il fait face actuellement, les raccordements aux réseaux, les flexibilités et outils de gestion du réseau et les nouveaux services rendus aux utilisateurs.
Les raccordements aux réseaux d’abord, ils constituent un élément clé de la transition énergétique puisqu’ils vont permettre à la fois l’intégration des nouveaux usages que sont les véhicules électriques ou encore les électrolyseurs et autres gigafactories dans les zones de décarbonation mais aussi celle des nouvelles sources de production et en particulier des énergies renouvelables. Sur ce sujet on constate une augmentation du nombre de demandes de raccordement au réseau et une tendance à l’augmentation des délais qui leur sont associés. Pour répondre à ce défi, les offres de raccordement intelligentes sont des solutions pertinentes puisqu’elles permettent d'optimiser la taille et le coût des ouvrages de raccordement en échange de limitations ponctuelles d’injection ou de soutirage. Nous appelons à la simplification et la généralisation de ces offres de raccordement aujourd’hui peu utilisées et restreintes à certains cas d’usage. Nous rappelons également aux gestionnaires de réseaux la nécessité de mettre à disposition des acteurs des données réseaux fiables et de qualité afin de les éclairer sur la faisabilité de leurs projets en amont de la demande de raccordement.
Sur le sujet des flexibilités, qui joueront un rôle majeur pour limiter les investissements dans les réseaux, nous apprécions les efforts menés par Enedis et RTE dans la mise en place d’appels d’offres flexibilités locales. Ces appels d’offres restent aujourd’hui ponctuels et expérimentaux, nous appelons à les généraliser et nous demandons aux gestionnaires de réseaux d’étudier systématiquement le recours aux flexibilités à chaque fois qu'elles se révèlent plus pertinentes que des renforcements de réseau. Pour ce qui est de l’observabilité du réseau, nous avons constaté un large déploiement de capteurs sur les réseaux et l'utilisation de compteurs évolués, qui permet aux gestionnaires de réseaux français de collecter des données essentielles pour améliorer la planification, l'exploitation et la maintenance des réseaux.
Nous nous sommes également intéressés au sujet de la donnée qui est au cœur de notre quotidien en rendant de plus en plus de services dans tous les domaines et bien entendu dans celui de l’énergie. Des données fiables, de qualité et sécurisées sont indispensables au développement de nouveaux services intelligents qui bénéficient à la fois au système électrique et aux consommateurs. Le déploiement des compteurs dits évolués constitue un succès industriel français du fait des économies majeures qu’ils ont permis pour la collectivité et des nouveaux services aux utilisateurs dont ils sont ou seront le support, les plaçant au centre des smart grids. Les gestionnaires de réseaux produisent également de nombreuses données qui sont utiles à de nombreux acteurs. Une large partie de ces données est disponible sur des plateformes en open data, outils précieux pour les acteurs. Nous avons rappelé la nécessité d’une amélioration continue de leur qualité et de leur mise à jour régulière afin d’en garantir l’utilité.
Enfin, nous sommes convaincus que le développement des réseaux intelligents et l’atteinte des objectifs que je viens de lister nécessitera, plus que par le passé, une excellente coopération entre les gestionnaires de réseaux.