Le rôle des smart grids
1. Les EnR et la baisse de l’inertie du système électrique : cause, conséquence, solutions
Jusqu’à présent, l’essentiel des moyens de production d’électricité reposaient sur des générateurs synchrones, quelquefois de plusieurs dizaines de tonnes, qui sont autant de résistance au ralentissement ou à l’accélération de leur rotation et donc contribuent au maintien de la fréquence du système électrique qui doit être à 50 Hz en permanence. L’inertie physique de ces moyens de production est importante pour que cette fréquence n’évolue pas trop vite. Les nouveaux moyens de production non synchrones, le plus souvent renouvelables, ne présentent, par nature, pas de lien direct entre leur vitesse de rotation - quand ils en ont une comme l’éolien - et la fréquence de l’électricité produite. L’électricité produite par ces systèmes non synchrones est injectée sur le réseau via de l’électronique de puissance.
Dans un futur proche, la question de la diminution d’inertie liée à l’augmentation de la proportion des moyens de production non synchrones devrait commencer à devenir un enjeu significatif pour les gestionnaires de réseaux électriques d’Europe continentale. Faute d’anticipation suffisante, cela pourrait nécessiter de limiter le taux de pénétration instantané des nouveaux moyens de production ou imposer des investissements significatifs. Cette problématique, tout à fait nouvelle et largement indépendante des autres caractéristiques propres aux EnR « variables » (variabilité importante de la puissance disponible, relative imprévisibilité), peut trouver des solutions techniques à des coûts a priori raisonnables. Mais la plupart de ces solutions ne peuvent être réellement efficaces qu’à la stricte condition d’être initiées dès la conception des moyens de production. L’électronique de puissance des moyens de production non synchrones peut en effet être étudiée, développée puis programmée pour répondre aux variations de fréquence du système de façon similaire aux moyens synchrones.
En Irlande, les gestionnaires de réseaux de transport sont actuellement confrontés à ce problème de manque d’inertie, avec peu de solutions à leur disposition, et une volonté politique importante pour ne pas limiter le taux de pénétration éolien. Des investissements très conséquents ont été consentis par les producteurs (modifications d’installations existantes, installation de moyens de stockage (volants d’inertie, etc.), réalisation de liaison en courant alternatif avec le Royaume-Uni augmentant la taille du réseau synchrone, etc.). Cet exemple a confirmé la nécessité, pour maitriser le coût d’insertion des EnR dans les systèmes électriques, d’une anticipation suffisante.
L’intégration des EnR dans les zones non interconnectées constitue un enjeu particulier pour les systèmes électriques de ces zones insulaires, du fait notamment de leur taille réduite et des faibles possibilités de foisonnement. Afin de garantir la sûreté du système électrique – la réserve de puissance pouvant s’avérer insuffisante (ou sa constitution trop coûteuse) pour compenser la chute de fréquence en cas de baisse importante des productions intermittentes – l’article L. 141-9 du code de l’énergie prévoit que le gestionnaire de réseaux peut déconnecter les dernières installations mettant en œuvre de l’énergie fatale à caractère aléatoire (photovoltaïque ou éolienne) raccordées au réseau lorsque la puissance cumulée injectée par les moyens de production intermittents dépasse un certain seuil défini par la PPE de la ZNI considérée.
Les réserves de puissance nécessaires pour faire face à la variabilité de ces moyens de production– et permettre l’atteinte des objectifs de relèvement des seuils de déconnexion– pourront être fournies par des installations de stockage centralisées. Pilotées par le gestionnaire de réseaux, ces installations pourront, à la différence des petites unités de stockage décentralisées déployées dans le cadre des appels d’offres photovoltaïques avec stockage, offrir une grande flexibilité dans les services rendus, adaptée aux besoins évolutifs des petits systèmes électriques.
Ces petits systèmes électriques, où les EnR deviennent de plus en plus prépondérantes dans le mix énergétique, doivent être regardés comme précurseurs et analysés à l’aune des ambitions européennes.
2. Développer l’observabilité et la prévisibilité
2.1 Les instruments de mesure
Développer l’observabilité, c’est surveiller l’état du réseau électrique à tout moment (défaut, congestion, variation de la tension, etc.), anticiper les incidents et faciliter la prise de décision pour optimiser le réseau et le rendre plus sûr. La multiplication des capteurs, tels que les compteurs communicants, permet ainsi de mieux connaître le réseau, d’accélérer le diagnostic et le traitement des pannes, et de mesurer précisément les flux d’énergie sur le réseau et de maintenir l’équilibre et la stabilité du système.
Un grand nombre de données sont remontées au centre de conduite : la topologie du réseau, les mesures de la tension, de la puissance sur le réseau, les principaux usages des clients, les courbes de mesures individuelles de consommation et de production et les données de stockage de l’énergie.
Les objectifs de cette observation sont multiples : prendre en compte la production décentralisée dans la téléconduite et la supervision des réseaux, surveiller la qualité de la fourniture, gérer activement la demande, mieux prévoir le dimensionnement du réseau.
2.2 Les instruments de prévision
Les gestionnaires de réseaux européens développent des outils de prévision de la production renouvelable, afin de mieux gérer l’équilibre production/consommation et, ainsi, améliorer l’insertion de cette production sur les réseaux. Il s’agit notamment de déterminer quelle part de la puissance totale maximale attribuer aux énergies renouvelables.
RTE adapte des outils d’exploitation, qui visent à disposer de modèles de suivi et de prévision de la production intermittente. Il a ainsi intégré des modèles de prévision de la production éolienne et photovoltaïque. Enedis a également développé des modèles de prévision à des mailles locales. Les courbes d’injection sont plus difficiles à prévoir à une maille locale, car elles ne bénéficient pas d’un effet de foisonnement naturel observé à des échelles plus grandes.
La météorologie joue également un rôle prépondérant pour une meilleure intégration des énergies renouvelables dans les réseaux. Les prévisions météorologiques permettent d’opérer des rapprochements statistiques et/ou corrélatifs entre l’aléa météorologique et la production. Un faible écart entre les prévisions et la production est recherché pour maintenir l’équilibre entre l’offre et la demande et, ainsi, préserver l’équilibre du système.
3. Développer le pilotage et le contrôle
Afin de mieux intégrer la production décentralisée sur les réseaux en respectant la stabilité et la qualité du système, des outils de contrôle et de pilotage ont été mis en place. Ils permettent notamment :
- le contrôle et le pilotage de la puissance active pour résoudre les problèmes d’équilibre du système et le contrôle et le pilotage de la puissance réactive pour résoudre les problèmes locaux de la tension ;
- le contrôle et le pilotage à travers de nouvelles fonctions d’automatisation centralisée utilisant le pilotage de la production décentralisée et le contrôle local des petites installations de production décentralisées.
Il s’agit d’interagir avec la production décentralisée en développant les fonctions d’automatisation (réglages de la tension et de la puissance active, reconfiguration après défaut, reconfiguration en régime normal), voire d’agréger les productions décentralisées à travers une « centrale virtuelle » locale comme le font certains acteurs de marché. Il faut alors concevoir des infrastructures de communication et de gestion des données pour intégrer la production décentralisée dans la conduite du système.
La création de « centrales virtuelles » (Virtual power plant ou VPP en anglais) permet de s’affranchir de l’intermittence grâce à la combinaison de marchés locaux de l’électricité et de couples matériels/logiciels pour équilibrer, en temps réel, demande et production d’électricité. Une centrale électrique virtuelle associe divers sites de production afin de jouer sur le foisonnement de ces sources multiples et de compenser la variabilité inhérente à certaines EnR. Tout type d’installations peut s’associer à une centrale électrique virtuelle : installations photovoltaïques, hydrauliques, thermiques, au biogaz, etc. L’ensemble de ces productions est piloté par un système central. L’algorithme permet de coordonner les installations au sein de la centrale électrique virtuelle, en fonction de certains signaux : adaptation de la production en cas de baisse ou de hausse d’une installation, détermination du coût optimal de la production électrique et les priorités d'utilisation de cette production etc.
4. Plus de flexibilité
Les technologies de Smart grids permettent plus de flexibilité dans le système électrique ce qui est nécessaire pour gérer l’intermittence et la variabilité des énergies renouvelables. Les FACTS (Flexible Alternative Current Transmission Systems – systèmes de transmission flexible de courant alternatif), les compensateurs statiques et les condensateurs permettent le transfert d’une plus grande quantité d’énergie sur les lignes électriques existantes tout en améliorant la stabilité de la tension et accroissent la résistance du réseau électrique aux oscillations de système et aux perturbations. Au besoin, on optimise la disponibilité des ressources ou on déploie des ressources supplémentaires.
La flexibilité au service des réseaux
4.1 Le stockage
Pour rendre le système électrique plus flexible face à l’intermittence des énergies renouvelables, le stockage d’électricité apparaît comme une solution intéressante. Des technologies de stockage sont matures, les coûts sont de plus en plus compétitifs.
Le stockage d'électricité
Il existe de nombreuses technologies de stockage. Aujourd’hui, les technologies les plus courantes sont :
- les batteries Lithium-Ion ou Sodium-Souffre : elles ont démontré, notamment dans les zones non interconnectées et associées à des installations de production éolienne et photovoltaïque, leur excellente aptitude technique (rendement, durée de vie, sécurité, etc.) et un potentiel économique croissant ;
- le stockage sous forme d’énergie mécanique :
- les cavités souterraines (Compressed Air Energy Storage – CAES) : elles permettent de stocker l’électricité produite sous forme d’air comprimé ;
- les stations de transfert d’énergie par pompage (STEP) : les STEP sont des installations hydroélectriques qui puisent aux heures creuses de l’eau dans un bassin inferieur afin de remplir une retenue en amont (lac d’altitude). L’eau est ensuite turbinée aux heures de forte consommation. L’électricité de ces stations est appelée essentiellement en période de pointe. Les STEP interviennent en dernier recours notamment en raison du coût de l’eau à remonter (alimentation électrique). Elles représentent encore aujourd’hui 99 % des capacités de stockage massif déployées dans le monde. Elles cumulent environ 120 GW dans le monde (à comparer aux plus de 4 000 GW de capacités de génération installées dans le monde).
Le développement du stockage a le potentiel de réduire au maximum l’intermittence des énergies renouvelables, en lissant leur production grâce à des stockages tampons, afin d’injecter dans le réseau de l’électricité de manière plus régulière. Le stockage d’énergie renouvelable est également un moyen d’éviter de démarrer les moyens de production d’électricité fortement émetteurs de CO2 en période de pointe et d’éviter des coupures de courant intempestives. Les réseaux pourraient devenir « auto-cicatrisants ». Lorsqu’une panne est détectée assez vite par le réseau intelligent, celui-ci injecte de l’électricité stockée avant que la panne n’atteigne les consommateurs.
4.2 Le rôle des interconnexions
Les interconnexions électriques reliant des pays soumis à des régimes de vent et d’ensoleillement différents contribuent à lisser la production globale sur la zone, dans la mesure où les parcs éoliens et solaires des différents pays ne produisent pas au même moment ni à la même puissance. Elles concourent également à pallier l’intermittence de la production renouvelable, en facilitant l’exportation des surplus dans les heures où l’électricité renouvelable est abondante et en permettant l’importation quand la production est insuffisante pour répondre à la demande. Les EnR peuvent ainsi, via les interconnexions, être mieux intégrées au marché électrique européen.
La CRE a activement soutenu le développement et la généralisation de mécanismes d’échanges transfrontaliers efficaces dans l’Union européenne. Ceux-ci correspondent notamment au calcul et à l’allocation coordonnés des capacités d’interconnexion, qui ont été actés par le règlement sur l’allocation de la capacité et la gestion de la congestion (règlement « CACM »), une ligne directrice découlant de l’application du troisième paquet Energie de 2009. La France bénéficie ainsi depuis plusieurs années d’une allocation implicite à l’échéance journalière, qui alloue de façon conjointement optimisée la capacité d’interconnexion et les ordres en énergie, sur toutes ses frontières avec d’autres États membres de l’Union européenne.
En 2018, l’allocation implicite a été étendue à l’échéance infra journalière sur les frontières avec la Belgique, l’Allemagne et l’Espagne grâce au projet « SIDC » (anciennement « XBID »). Des échanges transfrontaliers optimisés sont possibles jusqu’à une heure avant la livraison de l’électricité, ce qui permet une intégration aux marchés des variations de production renouvelable au plus proche du temps réel.
L’intégration progressive des marchés européens aux échéances journalière et infra journalière grâce aux interconnexions électriques constitue ainsi un outil de flexibilité clé pour le développement des EnR dans l’Union européenne.
Pour l’Agence Internationale des Energies Renouvelables (IRENA), la perspective de volumes croissants de production renouvelable dans les décennies à venir requiert à la fois des capacités d’interconnexion accrues, dont le développement doit toutefois être comparé à d’autres sources de flexibilité (participation de la demande, stockage, règles de marché dédiées, etc.) afin d’assurer leur efficacité économique, et une coordination renforcée des gestionnaires de réseaux. Celle-ci est nécessaire afin de disposer de règles communes pour l’exploitation du système électrique, la gestion des déséquilibres intra et interzones et la mobilisation d’actions pour garantir la sûreté des systèmes électriques interconnectés.
La création de centres régionaux de coordination, qui trouvent leurs racines dans les centres de coordination technique établis de manière volontaire par les gestionnaires de réseau de transport européens à la fin des années 2000, et la mise en œuvre des dispositions des règlements sur l’exploitation et l’équilibrage du système électrique (règlements « SO » et « EB »), deux autres lignes directrices découlant de l’application du troisième paquet Energie de 2009, permettront d’améliorer significativement cette coordination dans les années à venir.